un siècle d'oxygène en sidérurgie

2ème partie

savoir l'acier

Olivier C. A. BISANTI

  • version originale :
    Français

  • publication originale :
    9 janvier 2003



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    A la suite des procédés LD et Kaldo vus en première partie, l'oxygène accroît sa pénétration en aciérie : le soufflage d'oxygène pur par le fond, selon l'idée initiale de Bessemer, pose d'épineux problèmes qui ne seront réellement résolus que vingt ans après les procédés par lance. Les tuyères immergées se révèleront un concept fécond puisqu'elles conduisirent également au principal procédé contemporain d'affinage des aciers inoxydables.
    Mais l'usage de l'oxygène a eu également un impact déterminant sur l'évolution du four électrique, ouvrant la voie à une évolution profonde des filières sidérurgiques, comme nous commencerons à le voir ici.

     

     
    4- le grand retour du soufflage par le fond
     

    Les procédés modernes de soufflage par le fond, réalisation de l'inspiration de Bessemer, représentent la seconde vague des nouveaux procédés d'aciérie.

    4-1 LWS et OBM

    Attente d'enfournement de ferrailles et de fonte au convertisseur LWS à Serémange >

    (*) Procédé développé par ARBED au début des années 1960, consistant à convertir la fonte phosphoreuse à l'aide de chaux en poudre insufflée par la lance en même temps que l'oxygène. A la différence du procédé OLP développé par l'IRSID à partir de 1957, ce procédé se distingue par l'addition d'une partie de la chaux sous forme de morceaux avant enfournement de la fonte.

    A partir des essais infructueux d'Oberhausen déjà cités, à la veille de la première guerre mondiale, Maximilianhütte poursuivit les recherches en Allemagne. Après un " détour " par le procédé LD-AC(*), cette société revint à l'insufflation par le fond. La première idée tentée, l'injection à travers des réfractaires poreux, se solda par un échec. La Société engagea alors une collaboration avec la filiale de l'Air Liquide établie au Canada, où Robert Lee et Guy Savard poursuivaient des recherches sur l'usage sidérurgique de l'oxygène. Cette collaboration déboucha sur un procédé d'insufflation par une tuyère composée de deux tubes concentriques avec injection d'un fluide protecteur dans l'espace annulaire compris entre le tube externe et le tube interne par lequel arrivait l'oxygène. Le point-clé du procédé consistait à exploiter la réaction endothermique de craquage du fluide de protection pour refroidir le nez de tuyère et les réfractaires environnants. Ce fluide était un hydrocarbure gazeux (propane, butane, gaz naturel). Le procédé fut commercialisé sous le nom d'OBM (et de Q-BOP aux Etats-Unis). La première coulée se produisit en décembre 1967, à OberHaüsen, mais il fallut attendre mars 1968 pour voir un convertisseur en marche industrielle [25].

    On observa un cheminement similaire en France [26, 27], d'abord en soufflant l'oxygène à travers des réfractaires poreux. Cette idée était une extrapolation du procédé déjà évoqué de désiliciation de la fonte par soufflage d'oxygène par le fond de la rigole de coulée du haut-fourneau, à travers un fond réfractaire poreux, essayé à Moyeuvre au début des années 1950 par P. LEROY [28, 29]. Les essais eurent lieu à l'Ondaine-Unieux sur un petit convertisseur de 400 kg. Comme à Moyeuvre, le réfractaire tenait relativement bien en désiliciation ; ce n'était plus le cas en décarburation, et encore moins en déphosphoration du fait des températures de réaction et de la corrosion à chaud par la scorie formée. Entre 1966 et 1969, on essaya sur le même petit convertisseur différents types de tuyères : d'abord de simples tubes entourés de réfractaires à haute performance, puis des tuyères concentriques avec une injection de vapeur d'eau, puis d'eau liquide dans l'espace annulaire compris entre le tube externe et le tube interne par lequel arrivait l'oxygène.

    Principe technologique du convertisseur LWS- Cliquer sur l'image pour agrandir

    A ces premiers essais concluants succédèrent des tests sur un convertisseur de 18 tonnes à Moyeuvre, avec des tuyères protégées à la vapeur. La durée des fonds était un peu meilleure que celle des Thomas. Puis les essais furent continués à partir de 1970 à Rombas, avec des résultats décevants. L'innovation technique, probablement inspirée par Oberhausen, consista à remplacer la vapeur d'eau par du fuel-oil qui de plus dispensait de chaudière. Entre décembre 1970 et 1974, le procédé Loire-Wendel-Sprünck (LWS) issu de ces recherches était progressivement industrialisé et recevait ses premières applications à la Chiers (1972-1974, 5 convertisseurs), à Hagondange (2 convertisseurs de 45 tonnes) et Serémange (1 convertisseur de 60 tonnes), ces deux dernières en 1974. Ce furent encore deux unités LWS de 240 tonnes qui furent retenues pour la reconstruction de l'aciérie SOLLAC de Serémange déjà citée à propos du Kaldo [26].

    Tuyère concentrique et champignon [doc. VAI]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Comme déjà mentionné, le coeur technique de ces procédés est ce qui se passe au nez des tuyères. L'hydrocarbure injecté, gazeux ou liquide, est craqué par la température, ce qui absorbe une quantité considérable d'énergie (5,3 kCal/mole de fuel domestique de composition moyenne C H 1,6) et détermine un refroidissement localement important, et la solidification subséquente d'une croûte de métal autour de l'orifice de la tuyère : c'est le fameux "champignon". Cette concrétion conductrice de la chaleur "lisse" le gradient thermique autour de la tuyère et répartit le flux de chaleur causé par la réaction de l'oxygène sur le fer.

    cycle du fer et de l'oxygène dans le bain d'un convertisseur à soufflage d'oxygène pur par le fond- Cliquer sur l'image pour agrandir

    La totalité du débit de l'oxygène est absorbée instantanément, et une myriade de bulles d'oxyde de fer fondu montent à travers le bain. Cet oxyde de fer se réduit au contact du carbone et du silicium du bain, et il se forme des globules de fer, accrochés à une bulle de monoxyde de carbone en croissance. Deux mécanismes participent à la décarburation : (i) la décarburation spontanée provoquée par la germination de bulles de CO pur, prépondérante au-dessus de 0,05% de carbone dans le bain ; (ii) une décarburation par les bulles de gaz contenant les produits de craquage du fluide de protection : hydrogène, CO formé par le carbone du fuel, éventuel gaz neutre comme en AOD (voir plus loin). Du fait de leur plus faible pression partielle en CO liée à sa proportion inférieure à 100%, ces bulles peuvent continuer à s'enrichir par diffusion du de l'oxygène et du carbone provenant du bain, même quand celui-ci comporte moins de 0,05% de C. De même, le passage dans une bulle déjà formée par simple insufflation est moins difficile que la germination d'une nouvelle bulle à partir de gaz dissous, pour des raisons de tension superficielle. Ceci explique la performance des LWS et autres OBM en décarburation, et profite également aux outils de décarburation des aciers inoxydables comme on le verra plus loin.

    rééquipement d'une aciérie Martin en LWS- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Sur le plan de l'architecture industrielle, le soufflage plus calme en LWS qu'en LD, du fait d'un moindre déséquilibre d'oxydation entre le laitier et le métal, permet des convertisseurs moins volumineux. Surtout, les moindres projections et l'absence de la lance verticale au-dessus du convertisseur permettent de loger une cornue LWS et sa hotte surbaissée dans une ancienne halle Siemens-Martin à l'occasion d'une rénovation, ce qui coûte moitié moins qu'une aciérie LD "green-field". A Gary, US Steel a ainsi remplacé, au début des années 1970, 30 fours Siemens-Martin par deux Q-BOP de 180 tonnes installés dans une halle Martin. Le développement en hauteur d'une halle de LD atteint couramment 80 mètres, contre la moitié seulement pour le LWS [26]. Cet avantage ne s'est en fait guère concrétisé sur construction neuve, d'une part du fait de l'encombrement général des vieilles usines qui réduit la place disponible et oblige à développer les circuits de dépoussiérage en hauteur (par exemple à Serémange), et d'autre part du fait que la sublance, instrument indispensable sur le plan de la qualité apparu vers la fin des années 1960 au Japon, nécessite une installation similaire à celle d'une lance LD, que celle-ci soit présente ou non. Last but not least, l'avènement du procédé fut contemporain du premier choc pétrolier qui a stoppé la construction d'aciéries nouvelles...

    Discuter des avantages respectifs du soufflage par le fond et par le haut dépasserait le cadre de cet article, d'autant que les convertisseurs LD ont connu toute une série de systèmes de brassage par gaz neutre avant de converger avec le LWS-OBM vers des solutions de soufflage mixte de l'oxygène en diverses proportions (parfois une seule tuyère de fond). Aujourd'hui, la plupart des convertisseurs en service dans le monde exploitent un soufflage mixte.

    Les convertisseurs à soufflage par le fond ou mixte bénéficient des mêmes installations de traitement des gaz de process, avec captage sans combustion, que nous avons déjà évoqués au sujet du LD. Mais l'imagination des sidérurgistes est sans limite dès qu'il s'agit d'utiliser l'oxygène au convertisseur :

  • les sidérurgistes japonais de Kawasaki ont, à Chiba, développé un procédé utilisant deux convertisseurs et un dégazeur RH-KTB (voir plus bas) pour la fabrication d'acier inoxydable. Le point saillant du procédé est l'affectation de l'une des deux cornues de 85 tonnes (à soufflage par le fond) à la fabrication de fonte au chrome, par fusion-réduction du minerai enfourné en même temps que de l'anthracite [30].
  • des essais menés sur les LWS de Sollac ont prouvé qu'il était possible d'y refondre 240 tonnes de ferrailles froides en une heure et sans apport de combustible. Ces expériences font réfléchir quand on constate qu'un enfournement unitaire de 70 tonnes est fondu en 6 minutes, et que la puissance thermique développée ressort à 400 MW, largement au-delà du plus puissant four électrique ! Dans ce procédé appelé "FFOX", la fusion se fait simplement par oxydation d'une partie du fer par l'oxygène, sans addition de quelque combustible que ce soit. 54% du fer enfourné est récupéré sous forme liquide, et le reste, "consommé" par l'oxydation, est récupéré dans le dépoussiérage et peut être réenfourné au haut-fourneau ou dans un autre procédé de réduction. Les inventeurs du procédé calculent qu'au total, une tonne d'acier liquide nécessiterait 1055 kg de ferrailles, 216 kg de coke, 108 m3 d'oxygène et 25 kg de chaux dans le cas d'un couplage de ce procédé avec une filière haut-fourneau-convertisseur régénérant l'acier oxydé par le FFOX. [31]
  • d'autres procédés, tels le KS développé par Klöckner à Georgsmarienhütte à la fin 1981, insufflent cette fois du charbon pulvérisé (et de la chaux) par le fond d'un convertisseur de type LWS-OBM afin de refondre une quantité variable de ferrailles pouvant aller jusqu'à 100% d'une charge. Quelqu'un a, jadis, raillé sa majesté le haut-fourneau elle-même en la traitant de "gazogène produisant de la fonte". Nous pensons très fort à Klöckner proposant cet outil comme procédé de gazéification du charbon (sans la moindre production métallique) lorsque nous évoquons cette blague et "l'imagination des sidérurgistes"! [32]. Mais en fait, la possibilité de refondre une charge solide au convertisseur avait déjà été imaginée par ...Bessemer en 1865, expérimentée dès 1949 à Linz dans le prototype de convertisseur LD, et cette possibilité a ensuite été citée à de nombreuses reprises [33]. Le KS n'a donc rien de révolutionnaire...

  • 4-2 nouveaux procédés pour aciers inoxydables

    Position des tuyères et réactions métalllurgiques du fer et du chrome dans un convertisseur AOD- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Le soufflage immergé par tuyères concentriques a fourni également une partie des outils actuels de la décarburation des aciers inoxydables. Le CLU (Creusot-Loire-Uddleholm franco-suédois du début des années 1970) exploite le puits enthalpique de la thermolyse de l'eau en lieu et place des hydrocarbures ; les K-OBM-S développés par VAI dans les années 1980 sont des OBM qui ne soufflent pas à l'oxygène pur. Quant à l'AOD inventé aux Etats-Unis par Union Carbide à la même époque que l'OBM, et devenu le principal outil de décarburation des inoxydables, il utilise des tuyères concentriques immergées installées en bas du cylindre de la cornue et non pas au fond. Sur un plan fonctionnel, ce procédé ne recourt pas au refroidissement par craquage et se contente du refroidissement passif lié à l'injection d'argon par l'espace annulaire.

    (*)L'aciérie LWS SOLLAC de Serémange a, du reste, développé un soufflage "dilué" en fin de charges à bas carbone.

    Tous ces procédés ont en commun le fait de diluer l'oxygène soufflé par le tube central par un gaz neutre (le plus souvent de l'argon) afin d'éviter, au moment où la baisse du carbone ralentit la consommation de l'oxygène disponible, que celui-ci n'oxyde le chrome : pour cette raison (purement métallurgique et non pas thermique), ils ne soufflent donc pas d'oxygène pur. La proportion d'oxygène (en AOD, on commence à 75% d'Oý, ramené progressivement à 10%), nous ramène aux contraintes thermiques moins sévères du Thomas enrichi, et dispense d'un refroidissement par craquage aussi efficace qu'en aciérie LWS. L'augmentation progressive de la dilution de l'oxygène durant l'avancement de la décarburation garantit également une décarburation profonde, pour les mêmes raisons de pression partielle en CO qu'évoquées au sujet du LWS(*). Du fait de la dilution de l'oxygène, le gaz résiduaire de ces outils n'a pas la valeur énergétique comparable au LD ou au LWS-OBM ; on le laisse brûler au bec et épuiser son potentiel dans le dépoussiérage.

    A l'instar des procédés LD et LWS-OBM utilisés pour les aciers au carbone, il est apparu des cornues soufflées à la fois par le haut et par le bas : c'est la galaxie des KCB-S de Krüpp (années 1980 à Bochum), K-OBM-S et KMS-S de VAI, ce dernier étant un procédé allothermique comportant une injection de charbon en fond de convertisseur et une post-combustion par la lance émergée (1980 et 1990) destinée surtout à refondre les "loups de becs" formés par les projections du bain se solidifiant dans la partie haute de la cornue. Même les AOD se sont souvent vu ajouter une lance verticale ; les premiers aciéristes à le faire ont parfois maquillé les photographies des installations pour rendre la lance invisible et ne pas encourir de problème avec leur bailleur de licence...

    Ces convertisseurs sont en fait des outils duplex, à cheval entre les réacteurs d'aciérie et les outils de métallurgie secondaire, qui reçoivent la plupart du temps une charge liquide généralement préparée, en Europe et aux USA, au four électrique.

     
    5- l'oxygène au four électrique
     

    Après les premiers brevets de 1853 (Pichon) et prototypes industriels de Moissan en 1892, le four électrique à arcs a pris ses premiers traits contemporains à La Praz en 1901, sous l'impulsion de Paul Héroult, à Ugine à partir de 1906 sous celle de Girod (les fours de Keller, en vallée de Romanche, étaient davantage des "hauts-fourneaux électriques"). Sur le principe, il a longtemps été assimilable à un four à sole à chauffage électrique. Comme le four à sole à combustion (le Siemens-Martin que nous connaissons déjà), il coulait l'acier après une lente opération de fusion et d'affinage au contact de laitiers successifs. Du fait de la présence des électrodes carbonées, les fours à arcs ont longtemps été tenus à l'écart de l'élaboration des nuances à bas carbone, déjà disponibles ailleurs et également peu demandées aux usines qui utilisaient les fours électriques à arc pour les aciers spéciaux et à outils, très carburés par nature. En toute rigueur, une décarburation pouvait d'ailleurs être obtenue en fondant la charge sur un lit de minerai, laissant à l'oxygène lié au fer le soin de fixer le carbone comme en ore-process, comme Héroult le démontra dès l'origine [52].

    Manipulateur de lances devant la porte de décrassage, au repos (bleu), en fonction (rouge) [doc. VAI]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Bien que l'IRSID ait exploré des possibilité d'accélérer la fusion (les techniques de l'UHP n'avaient pas encore été découvertes) par un brûleur oxyfuel en 1960-1961 [34] et que l'affinage à l'oxygène ait été d'utilisation courante dans des unités d'aciers spéciaux comme celle de Bochum à partir de la mi-1950, (au prix d'un prix de revient élevé lié à l'usure du garnissage)[35], ce n'est guère qu'après la révolution des mini-mills, dans les années 1960, (voir notre article 'four électrique, la carrière industrielle' [53]) que la nécessité de décarburer a réellement été ressentie au four électrique. L'oxygène était alors en pleine ascension en aciérie de conversion, et on commençait également à l'utiliser dans les fours à sole Siemens-Martin. On emprunta donc à ce dernier les lances consommables (de simples tuyaux par lesquels on insufflait l'oxygène), puis, parfois, les lances refroidies comme celles des convertisseurs LD. Toutes ces lances sont introduites dans le laboratoire du four par des machines appelées " manipulateur de lances " à travers la porte de décrassage.

    Depuis les années 1970, l'oxygène est injecté sous la surface du bain, à la surface duquel de l'anthracite est déposé à l'aide d'autres lances, afin de faire mousser le laitier par un important dégagement d'oxyde de carbone. L'immersion des arcs dans la mousse piège leur rayonnement dans le laitier, détournant le transfert thermique vers le bain et prolongeant la durée de vie des parois du four.

    Depuis les années 1980, l'oxygène est aussi utilisé pour augmenter la part des énergies fossiles dans le bilan des fours à arcs. Il est consommé dans des brûleurs oxy-gaz ou oxy-fuel fixés dans les parois du four au dessus du niveau du bain ; ces dispositifs ne sont vraiment efficaces que sur des matières solides et on les arrête sur bain plat. On en trouve aussi dans quelques installations de préchauffage de ferrailles de type "Shaft" [36].

    principe du préchauffage des ferrailles type SHAFT [schéma VAI-Fuchs]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Car il faut bien évoquer ces installations de préchauffage de ferraille, qui sont une des voies d'évolution du four à arcs. Sans entrer dans le détail de ces différents procédés (paniers NKK, shaft, etc.), en réalisant que c'est l'accroissement du potentiel énergétique chimique des fumées aspirées dans le four par le système de dépoussiérage qui a persuadé les sidérurgistes de l'intérêt de récupérer une énergie " fatale " et disponible. L'injection du charbon pour faire mousser le laitier, puis pour diminuer la consommation électrique, a enrichi le gaz aspiré depuis le four en fractions combustibles (CO, hydrogène, CH4...) se dégageant du bain. On a d'abord tenté de brûler ces gaz dans le four lui-même, comme on l'a également tenté en aciérie de conversion. Mais la post-combustion n'est guère efficace sur bain plat, au moment où commencent justement les injections de combustibles fossiles. C'est la justification de ces appendices apparus à côté ou au-dessus des fours, où le gaz résiduaire du four électrique, quand il existe, est sûr de trouver des ferrailles captant sa chaleur sensible et sa chaleur latente avec efficacité. Des essais menés à Neuves-Maisons en octobre 1991 ont montré qu'il était intéressant d'étancher le four afin de limiter les entrées d'air et de réaliser, comme en aciérie de conversion, un captage sans combustion du gaz produit par le four. L'énergie contenue dans les gaz imbrûlés en four étanche fut mesurée, malgré des conditions d'essais perfectibles, à 130 KWh/ tonne d'acier liquide, contre 57 sans étanchéité. [37]

    L'expérience acquise en injection de charbon par le fond des convertisseurs (voir procédé KS) a été transposée, à partir de septembre 1985, au four électrique. Le procédé K-ES du joint-ventureVAI-Tokyo Steel-Klöckner injecte ainsi du charbon pulvérisé avec un gaz neutre ou de l'oxygène sous le niveau du bain, accroissant la part des énergies fossiles dans le bilan de la fusion. Une diminution de consommation électrique de 165 KWh par tonne d'acier était revendiquée en échange de l'insufflation de 30 kg de charbon et de 58 Nm3 d'oxygène supplémentaires, par 5 tuyères immergées et une injection d'oxygène dans le four afin d'assurer la post-combustion. Une seconde publication, de quelques années postérieure, donnait des chiffres plus modestes. On observera toutefois que ces résultats ont été publiés par des constructeurs de fours et non pas des sidérurgistes [38, 39].

    Les basses teneurs en carbone ont constitué une première ouverture du carnet accessible aux fours à arcs ; les basses teneurs en azote sont un nouveau cap dans la mesure où l'on cherche de plus en plus à produire des nuances pour produits plats au four électrique. Des teneurs de 40 ppm ont été réalisées à Gandrange en conditions industrielles, en enfournant une grande quantité de carbone (18 kg/t) de manière à constituer une réserve de carbone dissous dans le bain suffisante pour que le soufflage final d'oxygène, hors-tension, assure, avec la décarburation, un dégagement de CO qui "lave" le bain d'une partie de l'azote dissous. D'après l'IRSID, "il serait possible de descendre jusqu'à 25 ppm par décarburation sous arc à partir d'un enfournement entièrement composé de ferrailles"[40].

    Four à double-cuve de Gandrange [photo Usinor]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    L'accroissement de durée des opérations hors-tension liées à l'utilisation croissante d'oxygène au four électrique à arcs a fini par entraîner une mutation morphologique majeure : il s'agit du four à double cuve. Ajoutés au temps de chargement, de coulée et de réparation, les traitements par oxygène occupent souvent plus de la moitié du tap-to-tap, une période durant laquelle le four est hors-tension, électrode(s) levée(s). La double cuve semble en fait avoir été appliquée pour la première fois au four électrique en Suède, par SKF-ASEA, dès 1971, sous le nom de "M.R.", et mise en service à l'aciérie SKF de Hëllefort. Réellement en avance sur son temps, cette installation comportait également un dispositif de préchauffage des ferrailles par une voûte équipée de brûleurs sur la cuve hors-tension. L'idée existait déjà antérieurement puisque l'Université de Sheffield publiait plus de sept ans auparavant le schéma d'un "four double susceptible d'être utilisé dans l'avenir" et qui comportait, outre une double cuve, un shaft de préchauffage ![41] Le four à double-cuve permet d'exploiter l'appareillage électrique du four à plein temps : dès qu'il est libéré par la cuve en phase d'affinage-coulée-réparation-chargement, l'arc est amorcé sur l'autre cuve.

    Vu de dessus, le four double-cuve de Saldanha et ses deux bras [doc. SMS-Demag]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    D'autres mutations de ce passionnant outil métallurgique qu'est le four électrique sont encore à prévoir, tel le concept CONARC de SMS-Demag qui a reçu une première application en 1998 en Afrique du Sud. Il s'agit d'un "nouvellement classique" four à double cuve muni de son bras porte-électrode desservant alternativement les deux cuves, flanqué d'un deuxième bras porteur d'une lance à oxygène refroidie assurant le soufflage d'oxygène en temps masqué, sur l'autre cuve. L'outil en question produit 1,5 Mt/an d'acier liquide à partir d'un enfournement de fonte COREX (voir plus loin), de préréduits et de ferrailles.[42]

    Ces transformations jalonnent une évolution du four à arcs vers un outil polyvalent quant à la répartition des énergies consommées, des matières enfournées et des nuances réalisables, et dessinent le portrait d'un "fils spirituel" du Siemens-Martin cinquante ans après sa disparition.

    FIN DE LA DEUXIEME PARTIE

  • Vers la troisième partie

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    bibliographie
     

  • Les trois articles de la série "Un siècle d'oxygène en sidérurgie" partagent une bibliographie commune

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