un siècle d'oxygène en sidérurgie

1ère partie

savoir l'acier

Olivier C. A. BISANTI

  • version originale :
    Français

  • first publication :
    18 novembre 2002



  • (*)la Société VAI, à l'origine de l'industrialisation du procédé, développe dans deux articles l'évolution technologique du procédé LD
    (**) l'Air Liquide est aujourd'hui un des leaders mondiaux des gaz médicaux et industriels

     
    En cette année 2002 de commémoration simultanée du cinquantième anniversaire du procédé LD, premier procédé d'aciérie à l'oxygène pur(*), et du centenaire de la Société l'AIR LIQUIDE fondée par Georges CLAUDE afin d'entreprendre la distillation cryogénique des gaz de l'air à l'échelle industrielle(**), il n'est pas inutile d'élargir le champ temporel et technique de l'usage de ce gaz en sidérurgie : dès la seconde moitié du XIXe siècle, BESSEMER avait identifié l'intérêt de ce fluide en aciérie, dont l'emploi a largement débordé le cadre de la conversion de la fonte durant le siècle écoulé. Cette " promenade dans le siècle " nous donne l'occasion d'une revue (sans prétention encyclopédique) de quelques procédés s'y sont succédés en utilisant l'oxygène.

     

     
    1-oxygène
     

    1-1 ce pour-cent d'inspiration...

    Le mot "gaz" remonte aux environs de 1638, où le médecin belge Jan-Baptist van Helmont forge le mot "gas" ) à partir du terme flamand "ghoast" qui signifie "esprit".

    L'existence de l'azote est soupçonnée en 1766, et ce gaz est isolé en 1772 par Rutherford. Quant à l'oxygène, l'autre composant majeur de l'air, c'est le pharmacien suédois Carl William Scheele qui le découvre en 1773. Le Français Lavoisier l'isole en 1775, à partir de l'oxyde rouge de mercure, et lui donne son nom définitif, "oxygène", qui signifie "qui engendre l'acide", croyant alors que tous les acides renferment de l'oxygène[1]. Les choses prennent rapidement leur vraie place durant les années suivantes, durant lesquelles toutes les fondations des sciences fondamentales sont érigées dans le contexte d'explosion intellectuelle qui a façonné notre vision du monde.

     dessin de la coulée entre cylindres de Bessemer- Cliquer sur l'image pour agrandir

    L'idée d'utiliser l'oxygène en sidérurgie est probablement née en même temps que la sidérurgie elle-même, définie comme "technique de production industrielle d'acier faisant appel à la science métallurgique", qui était, à l'origine, une branche de la chimie. Dans ses revendications de brevets concernant le convertisseur qu'il a inventé en 1856, Henry Bessemer pressait déjà l'intérêt de convertir la fonte à l'oxygène pur et non pas à l'air[2]. Un autre article présentera Sir Henry dans les prochains mois; les amis de l'acier savent que Bessemer est le Léonard de Vinci de la sidérurgie, qui aurait presque tout inventé de la sidérurgie contemporaine. Alors que nous peinons, en cette aube du XXIe siècle, à industrialiser enfin ce qui s'est révélé être un himalaya technologique, nous voulons évoquer la coulée continue entre cylindres, les articles qui évoquent cette quête du Graal comportent presque toujours une reproduction d'un dessin imaginé par Bessemer d'une coulée de bande mince entre deux cylindres.

    C'est qu'il y a loin, très loin, de la coupe aux lèvres, surtout lorsque la coupe contient de l'acier en fusion. Comme l'illustre figure de Léonard, Bessemer a beaucoup pressenti, mais n'a pu réaliser qu'une infime partie de ses rêves. On découvra pourquoi dans l'exposé qui suit, où transpirent les interrogations et les prouesses de l'esprit humain lorsqu'il s'agit de bâtir. Bessemer a été ce pour-cent d'inspiration qui précède... beaucoup de transpiration, du calme des laboratoires à la chaleur des planchers de coulée.

    1-2 La distillation de l'air

    La sidérurgie n'aurait pu exploiter les avantages de l'oxygène pur si ce gaz était resté un produit de laboratoire. Il revient à l'industriel allemand Carl VON LINDE le mérite d'avoir, le premier, industrialisé la production de l'oxygène en distillant l'air liquéfié par détente. A la fin de l'année 1902, le Français Georges CLAUDE améliore l'économie du procédé en inventant la détente avec travail extérieur, qui multiplie par cinq la quantité d'air distillé pour une même quantité d'énergie consommée. Dès lors, le coût de l'oxygène est suffisamment bas pour rendre son utilisation viable. Carl von Linde et Georges Claude ont respectivement fondé les sociétés LINDE et L'AIR LIQUIDE, devenues depuis des géants industriels.

     liquéfaction des gaz de l'air, schéma de principe [Air Liquide]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    A la base, le procédé est simple : distiller l'air liquéfié par une température et une pression adéquates, comme on distille les différentes fractions du pétrole dans une raffinerie, par différence de température de condensation. Le cas de l'air est évidemment plus complexe car cette condensation ne se produit qu'entre -183°C pour l'oxygène et -196°C pour l'azote. Le fonctionnement économique d'une unité de distillation des gaz de l'air fait donc appel à un système complexe enfermé dans une " boîte froide " où divers flux gazeux et liquides circulent entre des colonnes de distillation, des échangeurs et une turbine de détente afin de perdre le moins possible de l'énergie dépensée à la compression initiale de l'air.

    1-3 Par la petite porte au HF

    Les premiers usages d'oxygène en sidérurgie sont liés à l'oxycoupage et la soudure oxyacétylénique. Un entrefilet du Time's Engeneering Supplement de 1911 signale que "la demande augmentant de jour en jour, la British Oxygen and Co est en train de faire construire une usine à Sheffield", précisant que la compagnie possède déjà 8 sites de production, utilisant le procédé à l'air liquide[3]. Le premier emploi de l'oxygène dans un procédé spécifiquement sidérurgique concerne le haut-fourneau ; il s'agit à proprement parler d'une " entrée par la petite porte " car il ne concerne pas réellement le process, mais le débouchage de tuyères à vent ou de trous de coulée par l'oxygène, mis en oeuvre pour la première fois à Kreuzthal (Westphalie) [4] et [5]

     
    2- l'adaptation des outils classiques
     

    2-1 Siemens-Martin

     coupes d'un four Martin- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Avec le Bessemer et surtout le Thomas, le four Siemens-Martin est l'outil qui a fait passer la transformation de la fonte en acier d'un stade semi-artisanal à l'age industriel. Rappelons les grandes lignes de ce procédé disparu : en avril 1863, à Sireuil (Charente), Pierre-Emile MARTIN réalisa la première coulée au four à sole qui allait prendre son nom. L'idée centrale du procédé consistait à élever la température de flamme, jusqu'à une température assurant la fusion du fer, par le préchauffage des gaz de combustion (gaz de gazogène et air), au moyen de la récupération de la chaleur des gaz brûlés évacués à la cheminée. Le principe du régénérateur, en tant qu'appareil, fut breveté pour la première fois le 16 novembre 1816 par un pasteur protestant écossais nommé Robert Stirling ; le 2 décembre 1856, Friedrich Siemens faisait breveter en Angleterre un appareil industriel exploitant le même principe [6].Mentionnons toutefois que c'est un effet de "régénération naturelle" de l'énergie des gaz de combustion, dans la cuve elle-même, qui est à l'origine du procédé princeps de la sidérurgie : le haut-fourneau.

    (*) fonctionnant en "scrap process", le four Siemens-Martin est un simple outil de refusion des ferrailes, assorti toutefois d'une capacité d'épuration du bain métallique par le laitier ; le four Siemens-Martin pouvait également enfourner de la fonte, dont le carbone était retiré du bain par l'action de minerai (d'où le nom d' "ore-process") déposé sur la sole avant la charge de fonte. A haute température, l'oxygène lié au fer (Fe2O3) était en effet capté par le carbone de la fonte et se dégageait du bain sous forme de monoxyde de carbone, lequel pouvait brûler ensuite dans le laboratoire du four.

    Le four Siemens-Martin pouvait absorber aussi bien des ferrailles que de la fonte. Cette polyvalence lui ouvrit une carrière qui en fit le principal procédé mondial d'élaboration de l'acier (plus de 70% de l'acier mondial produit entre 1930 et 1960), avec de surcroît une qualité hors d'atteinte des procédés pneumatiques (Bessemer et Thomas) nés à peu près en même temps que lui. Le Martin, selon la formule de Holey demeurée célèbre, "assista aux funérailles du Bessemer" en raison de la rareté des minerais capables de fournir la fonte requise par ce dernier ; l'oxygène lui donna ensuite un "petit coup de pouce" en améliorant sa productivité. Ce coup de pouce de l'oxygène ne fut rien en comparaison de l'évolution décisive qu'il fit subir au convertisseur, comme nous le verrons plus loin, et qui conduisit finalement à l'éviction du Siemens-Martin.

    Alors que les premiers essais d'oxygénation de l'air au convertisseur Thomas remontent à 1920, les expériences d'utilisation d'oxygène au Siemens-Martin ne commencent qu'en 1946 aux Etats-Unis et au Canada [7], [8] et l'exploitation industrielle ne débute en France, du fait de la grande pénurie d'oxygène, qu'à partir de la fin des années cinquante.

     manipulation de lances à oxygène au four Martin [Steel Company of Canada]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    En septembre 1960, une mission d'étude de métallurgistes français note que "l'usage de lances d'insufflation de l'oxygène dans le bain semble maintenant être d'un usage courant aux USA"; il s'agit "de lances refroidies à six orifices", c'est-à-dire d'un engin d'insufflation dérivé du LD apparu en 1952 (voir plus loin) La même mission note également que "les nouveaux principes de chauffage actuellement en plein développement en France ne sont en général aux USA qu'au stade d'essai de techniques industrielles débutantes notamment concernant l'emploi rationnel de l'oxygène pur comme comburant" [9].

    A Neuves-Maisons, l'oxygène est utilisé au four Siemens-Martin à partir de 1964 [10,11]

    Au Martin, l'usage de l'oxygène augmente la température de flamme, augmente son impulsion et permet la décarburation de la fonte en remplaçant l'oxygène du minerai enfourné en fond de bain.

    2-2 Oxygène et convertisseur Thomas

    Concernant le THOMAS, l'idée d'une injection d'oxygène est, comme on l'a vu, le rêve des métallurgistes depuis Bessemer. L'affinage THOMAS souffre en effet d'un certain nombre de handicaps :

  • l'azote de l'air soufflé à travers le bain a une fâcheuse tendance à se dissoudre dans l'acier, surtout aux hautes températures atteintes en fin d'affinage. Cet azote tend, sur produit fini, à augmenter la température de transition de l'acier et le rend veillissant.

  • coupes d'un convertisseur Thomas- Cliquer sur l'image pour agrandir

  • Le bilan thermique de la conversion THOMAS est très délicat ; non content de "polluer" le métal, l'azote contenu dans l'air soufflé à travers le bain le traverse en pure perte, emportant avec lui une énorme quantité de chaleur (d'après HUSSON, "chaque m3 d'azote sortant du convertisseur emporte sensiblement la chaleur nécessaire à la fusion d'un peu plus d'un kilo de ferraille "[12]). Dans ces conditions, la température du bain, chauffé par l'oxydation du carbone, augmente moins vite que le point de fusion du métal qui s'appauvrit régulièrement en carbone (le point de fusion d'une fonte à 6% C est de l'ordre de 1150ĝ, et augmente au-delà de 1500°c à mesure que l'on approche la composition du fer pur). On met d'ailleurs en évidence dans les années 1950 que seule une solidification partielle du bain permet d'attendre, par une sorte de " crédit enthalpique ", le démarrage, autour des tuyères, de la déphosphoration qui permet enfin d'atteindre la température finale et de remettre en fusion l'intégralité du métal [13]. Dans ces conditions, les capacités de refusion de ferrailles au Thomas sont faibles, alors que l'usine sidérurgique de l'époque produit beaucoup de chutes de fabrication qu'il faut bien recycler. Plus grave encore, le silicium de la fonte est à l'origine de difficultés de soufflage, conduisant les aciéristes à réclamer une fonte moins siliciée ; mais diminuer le silicium dont l'oxydation produit beaucoup d'énergie en début de conversion compromet encore davantage le bilan thermique de l'opération. Seul le phosphore permet de remonter suffisamment la température en fin de coulée. Encore faut-il qu'il y en ait suffisamment : le phosphore, poison de l'acier, est finalement un poison si nécessaire que certains minerais phosphoreux n'en contiennent plus assez !

  • Dans ces conditions, le plus simple serait de retirer l'azote et de souffler à l'oxygène pur. Mais la réaction de l'oxygène pur avec le fer détermine des températures de 2500°C à 2700°C, et détruit le fond du convertisseur en quelques coulées. Il faut donc se résoudre à ne souffler qu'une proportion modérée d'oxygène, inférieure à 40% lorsqu'il est mélangé avec de l'air.

    balayage des tuyères au convertisseur Thomas [Sollac 1967]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Dès 1925, à OberHaüsen, dans la Ruhr, l'enrichissement du vent en oxygène est essayé dans un convertisseur Thomas. En 1930, la première grande installation de distillation des gaz de l'air permet à la MaximilianHütte à Sulzbach-Rosenberg de souffler ses convertisseurs au vent enrichi [14]. Entre 1937 et 1940, Lellep, encore à Oberhëusen, essaie en laboratoire des tuyères en cuivre refroidies à l'eau soufflant de l'oxygène pur : suffisante en décarburation, cette solution ne tient pas en phase de déphosphoration, sans compter la dangerosité de ce refroidissement à l'eau, qui fait renoncer à des essais en aciérie [15]. En Belgique, des essais sont conduits dès la fin de la guerre. En France, il faut attendre 1947 pour les premiers essais de Senelle et de Réhon, et 1953 pour une exploitation industrielle de l'enrichissement du vent [16]. En 1954, aiguillonnée par la nécessité d'alimenter économiquement son train à bandes installé en 1953, la SOLLAC fabrique ainsi à Serémange tout son acier Thomas au vent enrichi. Le taux ne dépasse pas 30% afin de garantir la tenue des fonds de cornues. De plus, l'enrichissement en oxygène augmente l'intensité des fumées rousses au-delà des capacités d'épuration (très sommaires) des systèmes de captation des aciéries Thomas. A peu près à la même époque, l'IRSID met au point une méthode de préaffinage de la fonte par injection oblique d'oxygène dans la poche d'enfournement, dont le principe est de se débarrasser du silicium tout en augmentant la température de la fonte enfournée au convertisseur. Ce procédé ne connaîtra pas de développement en Europe (les Japonais feront subir à la fonte des prétraitements très complets, incluant la désiliciation, à partir des années 1970) (cf aussi [17]).

    On ne se contente pas de mélanger l'oxygène avec de l'air. On l'utilise aussi avec de l'acide carbonique (en fin de soufflage, à Domnarfvet en Suède en 1947-1949, permettant d'augmenter la proportion d'oxygène jusqu'à 58%)[18], avec de la vapeur d'eau (en 1949-1950, en France et en Allemagne). Les promoteurs de ces essais pensent simplement remplacer l'azote de l'air par un autre diluant, et ne comprennent pas que le pouvoir refroidissant de la vapeur d'eau et du gaz carbonique procèdent en réalité d'un autre mécanisme, qui ouvrira la voie, après 1965, à la deuxième vague de convertisseurs modernes.

     
    3- la première vague des nouveaux procédés
     

    Si les deux premiers procédés sidérurgiques à l'oxygène pur voient le jour dans la même période, respectivement en Autriche et en Suède, dans des contextes très différents, ils résolvent tous les deux de la même manière le problème de l'apport d'oxygène sur la fonte : par le recours à une lance refroidie.

    3-1 le procédé LD

    Dès 1932, en Autriche, le Docteur Theodor SUESS, ingénieur à l'origine de ce procédé, s'était intéressé à l'utilisation de l'oxygène en sidérurgie, et effectuait des essais, en liaison avec la société LINDE et le professeur Durrer. En 1948, à Gerlafingen [18], ce dernier parvint à affiner à l'oxygène pur une fonte hématite au moyen de tuyères latérales dans un convertisseur de deux tonnes. Sur le conseil de Durrer, Suess poursuivit à l'usine Vöest de Linz le développement du soufflage d'oxygène par le haut.

    premiers essais de soufflage d'oxygène pur, octobre 1949 [photo VAI]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Les premiers essais du procédé LD stricto sensu débutèrent à Linz le 3 juin 1949. On pensait que l'oxygène devait être soufflé le plus près possible de la surface du bain afin d'y pénétrer " comme un corps solide ". Au cours du premier essai, la tuyère était effectivement si près du bain qu'elle y pénétra et se boucha. Au cours du deuxième, la lance se fissura et la charge, considérée comme perdue, fut recyclée au Siemens-Martin que l'on prétendait supplanter. Les essais suivants, le 9 juin, avec une hauteur de lance plus importante et une pression de huit bars maintenue durant un soufflage de 27 minutes, donnèrent des résultats plus heureux. On passa ensuite à un convertisseur de 15 tonnes qui n'était autre qu'une poche-acier à laquelle on avait ajouté un bec par lequel étaient introduite une lance suspendue à une poutre fixée au mur extérieur de l'aciérie.

    Coupe de la première aciérie à oxygène à Linz [Revue de Métallurgie]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    De nombreuses recherches de nuances et de détermination de propriété d'emplois du nouvel acier furent conduites, si concluantes qu'en 1949, la construction du train à bandes étant sur le point de démarrer à l'usine de Linz, se posait la question du choix de l'alimenter par une aciérie MARTIN au process bien connu ou bien une aciérie à l'oxygène prometteuse mais révolutionnaire sur le plan industriel. Fin 1949, il devenait évident que l'élaboration LD était plus compétitive que le four Siemens-Martin. Il fallut cependant un certain courage pour construire la première aciérie exploitant le nouveau procédé appelé "par lance de Linz" (Linz Düsenstahl) après avoir failli recevoir le nom de Linz-Durrer.

    Des essais de soufflage d'oxygène par le haut était également conduits depuis 1949 à l'usine de OAMG de Donawitz ; six mois après Linz, cette usine mit en service à son tour une aciérie à l'oxygène avec soufflage par lance émergée. le nom du procédé changea alors pour Linz-Donawitz. Les deux sociétés demandèrent indépendamment un brevet. Dès le mois de juillet 1951, des métallurgistes japonais de Nippon Kokan assistèrent à Donawitz à un essai de convertisseur de 5 tonnes. Ils furent ensuite parmi les premiers à prendre une licence. Les droits de propriété intellectuelle attachés au procédé donnèrent lieu à de nombreuses complications, en Europe et aux USA. Si les conflits européens reçurent finalement des solutions légitimes, les Etats-Unis, où plusieurs sociétés acquérirent le savoir-faire autrichien puis refusèrent d'acquitter les redevances, ne reconnurent pas la validité du brevet, allant jusqu'à modifier la loi américaine sur les brevets, en mai 1971, en cours de procédure. Entre-temps, Suess devait disparaître accidentellement le 6 mars 1956 [19].

    convertisseur LD- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Dans le procédé LD, l'oxygène est soufflé vers le bain depuis une lance verticale, refroidie par eau, dont l'extrémité en cuivre est percée de cinq à sept tuyères convergentes-divergentes. La pression de soufflage, d'environ 20 bar, détermine une vitesse d'éjection de l'ordre de 700 m/s, c'est-à-dire la vitesse du Concorde. La hauteur de lance varie au cours de l'affinage. Traversant la couche de laitier, l'oxygène réagit immédiatement et entièrement avec le fer de la fonte, donnant un monoxyde de fer liquide lui-même immédiatement réduit par le silicium et le carbone présents. La silice formée est neutralisée par la chaux versée à l'enfournement et contribue à former le laitier qui surnage au-dessus du métal, et mousse sous l'effet du dégagement gazeux jusqu'à remplir presqu'entièrement le convertisseur. Ce dégagement de CO au point d'impact (hot spot) chasse également les couches superficielles du bain vers le bord, faisant monter de nouvelles masses de métal des profondeurs de la cornue. Ce mouvement, efficace en début de soufflage, tend à ralentir lorsque le carbone dissous passe en-dessous de 0,1%, et le brassage avec le laitier diminue corrélativement. Ce qui ne serait qu'un inconvénient ennuyeux avec de la fonte hématite devient un obstacle rhédibitoire avec de la fonte phosphoreuse, dont le phosphore, pour des raisons thermodynamiques, ne commence à s'éliminer du bain qu'après le départ de tout le carbone. C'est donc au moment où l'élimination de l'acide phosphorique P2O5 formé par l'oxydation du phosphore nécessiterait un brassage énergique avec la chaux du laitier que ce brassage perd sa force motrice. Pour des raisons métallurgiques, il importait, d'autre part, de maintenir un brassage suffisant en fin de décarburation: c'est l'origine des procédés de brassage par le fond avec un gaz neutre tels le procédé LBE, développé à partir de 1975 par l'IRSID et industrialisé à Denain et Dunkerque en fonte hématite et à Esch-Belval (ARBED) et Mondeville en fonte phosphoreuse [20].

    Nez de lance de convertisseur LD [VAI]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Ces difficultés ont connu diverses solutions (affinage LD en deux phases, procédés LD-AC, LD-Pompey, OLP) qui mettent toutes en ouvre des modalités spéciales d'addition de la chaux afin de permettre la capture de l'acide phosphorique. Elles se traduisent néanmoins par une moindre performance du LD en fonte phosphoreuse, qui a maintenu une pression au développement d'autres procédés.

    captage des gaz résiduaires au convertisseur LD [Revue de Métallurgie]- Cliquer sur l'image pour agrandir

    L'affinage LD produit un effluent gazeux très riche en monoxyde de carbone et en très fines particules d'oxyde de fer (fumées rousses). Dès les premiers temps du LD, ces fumées rousses, beaucoup plus intenses que celles du Thomas, imposèrent la mise au point de systèmes de dépoussiérage efficaces. Ces systèmes étaient coûteux en raison des performances exigées, de la température des gaz captés et de leur volume. En effet, le tirage des gaz de process dans la hotte de captage aspirait une grande quantité d'air, provoquant leur combustion et le développement de températures très élevées. Afin de réduire les dimensions et les contraintes de ces installations, on inventa divers procédés de captage sans combustion, dont le principe commun repose sur le maintien d'un équilibre des pressions au-dedans et au-dehors de l'espace annulaire qui sépare le bec du convertisseur de la hotte de captage : l'air doit pas rentrer, ni le gaz de process s'échapper (le monoxyde de carbone est toxique et explosif). Dans le procédé IRSID-CAFL, une jupe mobile, sous laquelle se forme une petite quantité de gaz brûlés et dépourvue d'oxygène, vient coiffer le bec du convertisseur et procure un espace-tampon qui complète la régulation de pression. Le gaz de process, lavé et dépoussiéré, conserve donc à présent tout son potentiel énergétique, correspondant à 0,7 GJ/tonne d'acier soit environ 15 litres de fuel. Cette énergie entre dans le bilan de l'usine intégrée.

    3-2 Le Kaldo

    Kaldo en action- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Entre 1948 et 1955, le professeur Bö Kalling mit au point à l'usine Stora Koppaberg de Domnarfvet un procédé audacieux dans sa technologie. Le bain (métal et laitier) était contenu dans une sorte de bétonnière, dans le bec de laquelle on braque une lance refroidie à l'eau à l'extrémité de laquelle une tuyère projette de l'oxygène sur le bain. Tout comme une bétonnière, la cornue était animée d'un mouvement de rotation (30 tours par minute) et pouvait être inclinée (angle de 17° durant l'affinage). La rotation provoquait un brassage intense du métal et du laitier, tandis que l'oxygène soufflé formait du monoxyde de carbone qui se dégageait ensuite sous forme de bulles jusqu'à la surface constamment renouvelée par le brassage. Ce monoxyde br-lait ensuite dans la cornue avec un important dégagement de chaleur, (au prix d'une consommation d'oxygène d'environ 60nm3 par tonne contre 50 pour les autres procédés à l'oxygène). Ce flux thermique e-t été insupportable au réfractaire s'il y avait été exposé en permanence. Mais la rotation de la cornue lui permettait de céder cette chaleur au bain, exposant brièvement tour à tour toute la surface du réfractaire à la flamme et restituant en continu l'énergie thermique au bain. L'efficacité du transfert était telle que le Kaldo parvenait à refondre 400 à 500 kg de ferraille pour 600 à 400kg de fonte enfournée, soit 250 à 350 kg de plus que le LD [21].

    Cycle d'élaboration au Kaldo- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Lorsque le LD apparut, ce procédé novateur mais peu adapté aux fontes phosphoreuses fit notamment hésiter Sollac qui envisageait alors de construire à Serémange, à côté de ses quatre convertisseurs Thomas soufflés à l'air enrichi, un 5e four Siemens-Martin pour les tôles de haute qualité. Or, la rotation du Kaldo permettait de maintenir un brassage très intense du métal et du laitier durant la phase d'oxydation du phosphore en fin d'élaboration, au moment où ce brassage disparaissait en LD. C'est ce qui conduisit à son adoption à SOLLAC, et à la mise en route d'un premier convertisseur de 110 tonnes en 1960, extrapolé de la machine de 27 tonnes de Domnarfvet [22]. D'autres derviches métallurgiques devaient succéder à ce premier appareil, notamment les deux Kaldo de 230 tonnes de SACILOR à Gandrange (remplacés depuis par une aciérie électrique) et les deux Kaldo de 240 tonnes de SOLLAC-Serémange auxquels ont succédé les deux convertisseurs LWS de l'actuelle aciérie de Serémange.

    Maquette de convertisseur Kaldo exposée à l'Espace Archives Usinor de Serémange- Cliquer sur l'image pour agrandir

    Le Kaldo était un procédé élégant sur la papier, mais d'une exploitation difficile. S'il possédait un rendement thermique extraordinaire, il ne fournissait aucun gaz de process comparable à celui du LD après mise au point des captages sans combustion. Or, ces gaz sont devenus de véritables " co-produits " et ont pris depuis 1975 une grande importance dans le bilan énergétique de l'usine intégrée. D'autre part, la cornue chargée de son bain de 270 tonnes était un monstre de plus de mille tonnes qu'il s'agissait d'entraîner 30 tours par minute, devait s'incliner pour la coulée et l'enfournement, le tout avec une fiabilité compatible avec une exploitation industrielle. Enfin, les cycles thermiques extrêmement sévères subis par le garnissage réfractaire compromettaient gravement sa longévité : en 1976, une campagne Kaldo n'excédait guère 150 coulées, contre 600 en LD. Et puis, last but not least, une charge Kaldo demandait 70 minutes contre 40 à une charge LD. Joint aux écarts de disponibilités liés aux réfections de garnissage, ce fait réduisait la capacité annuelle d'un convertisseur Kaldo à moins de la moitié de celle d'un LD de charge égale [22].

    Ce procédé a donc fini par disparaître du cycle de l'acier. Il a cependant connu une descendance :

  • dans le domaine des aciers inoxydables, avec le procédé Kaldo-Réacteur, mis au point par Ugine à son usine d'Aiguebelle (brevet du 5 juillet 1955), puis exploité brièvement à Moûtiers, et à l'Ardoise (réacteur de 70 tonnes) jusqu'en 1986 où il fut remplacé par un AOD de 110 tonnes. Cet appareil était un pur fruit de la culture Uginoise, un vrai délire d'ingénieur : exploitée en Kaldo durant la première partie du soufflage, la bétonnière était ensuite arrêtée et mise en position verticale ; une cloche à vide venait alors se clamper sur le bec afin de provoquer une décarburation sous vide. Le savoir-faire d'Ugine avait su porter la durée de campagne d'un garnissage à 1000 coulées [23];

  • dans les métaux non-ferreux, avec une application dans le nickel au Canada (procédé TBRC) [24].

  • FIN DE LA PREMIERE PARTIE

    Vers la deuxième partie

     
    bibliographie
     

    Les trois articles de la série "Un siècle d'oxygène en sidérurgie" partagent une bibliographie commune

     

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