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Sidney Gilchrist THOMAS Inventeur et humaniste |
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mémoire d'Acier |
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Olivier C. A. BISANTI 12 avril 2001 |
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Parmi les inventions techniques qui ont contribué à construire le monde contemporain, il en est quelques-unes qui ont produit de tels changements qu'elles ont constitué une ligne de démarcation avec le passé, imprimant une frontière entre un "avant" et un "après". |
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londres 1850 |
Le 16 avril 1850, soit 151 ans ce 16 avril 2001, à Londres, capitale d'un empire britannique au faîte de sa puissance coloniale et de la révolution industrielle, naît Sidney Gilchrist THOMAS. Il a un frère aîné ; un frère plus jeune et une soeur viennent après lui rejoindre la fratrie. La famille entière aime lire, et les trois frères profitent de leurs séjours à la campagne pour étudier la botanique et les oiseaux. L'aîné s'engage dans des études de médecine. Malgré son jeune âge, Sidney, bon écolier, est tenté par la même orientation. Mais son père, qui souhaitait plutôt le voir s'orienter vers les sciences pures, disparaît brutalement alors qu'il n'a que 17 ans. |
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portrait de Sidney THOMAS > |
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La disparition d'un des deux parents est toujours un drame et un préjudice, mais il faut envisager cet évènement dans le contexte d'une Angleterre victorienne contemporaine de Dickens. La situation financière du foyer, composé à présent d'une femme seule avec quatre enfants à charge, est immédiatement compromise. Sidney abandonne toute ambition médicale et trouve un obscur emploi de commis dans un tribunal de première instance de Londres. Mais il ne renonce pas à son intérêt pour les sciences, et s'inscrit à des cours du soir sur la métallurgie. |
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une révolution métallurgique |
(*)Auparavant, l'acier était obtenu par puddlage, c'est-à-dire par martelage de "loupes" pâteuses de fer obtenu à partir de l'affinage à la flamme de fonte dans un four à réverbère. La température plus basse du puddlage (1300'C tout au plus) ne permettait pas la réduction de l'acide phosphorique par le carbone, et autorisait une déphosphoration "naturelle"... et tout à fait accidentelle. |
A l'époque, la production d'acier est majoritairement assurée au convertisseur Bessemer, apparu en 1858, et qui a révolutionné la sidérurgie(*). Très efficace sur des fontes hématites, ce procédé ne donne hélas que des aciers fragiles lorsqu'il convertit les fontes phosphoreuses issues de la majorité des minerais britanniques. Le Bessemer élimine facilement le silicium et le carbone de la fonte, mais le phosphore, même oxydé par le flux d'air traversant le bain, est réduit à haute température par le carbone résiduel, et demeure dans le métal. |
convertisseur Bessemer > |
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(*) Acides et bases se neutralisent réciproquement en donnant des sels et de l'eau. Réaction favorable concernant l'acide phosphorique, cette neutralisation détruit malheureusement les parois de silice, acides, des convertisseurs Bessemer. La silice a été choisie par Bessemer en raison de sa résistance à la chaleur (fusion de la silice : 1800ĝ, pour une température du bain aux environs de 1600ĝC) et de sa facilité de mise en oeuvre (on peut faire des garnissages en simple sable damé). |
Il faudrait pouvoir fixer cet acide phosphorique P2O5 sur une base(*) telle que la chaux (après élimination poussée du carbone, c'est-à-dire en fin d'affinage), mais toute substance basique ajoutée au laitier attaque le garnissage de silice, acide, de la cornue Bessemer. On a bien essayé de tapisser une cornue avec de la chaux, mais ce revêtement n'a aucune cohésion physique et ne tient pas. C'est alors que Sidney THOMAS s'oriente vers la magnésie, basique elle aussi, qui résistera donc à la chaux déversée dans le laitier, et que l'on peut agglomérer avec du goudron sous forme de briques. Ces briques, une fois cuites, pourront recouvrir intérieurement la cornue ; un avantage supplémentaire est une résistance encore meilleure à la température (le bain peut atteindre couramment des températures de l'ordre de 1750ĝC). |
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l'acier et la terre |
(*)Le procédé d'enrichissement de la terre agricole par la scorie THOMAS finement broyée sera mis au point en Allemagne. |
La chaux du laitier ayant capté le phosphore, celui-ci se retrouve donc dans la scorie coulée en même temps que l'acier. Et Sidney THOMAS, qui a gardé de sa vocation refoulée de médecin le souci d'autrui, achève alors son oeuvre. Le phosphore, extrait de gisemements, importé à grands frais, hors de portée de beaucoup de petits paysans, est très utilisé comme engrais en agriculture. Ce phosphore, Sidney THOMAS propose de le fournir par les scories des aciéries exploitant son procédé(*). Les brevets du procédé d'aciérie THOMAS ont été pris en 1877 ; en 1887, soit moins de dix ans après, on consomme déjà 2 millions de tonnes de scorie THOMAS en agriculture. |
Les terres sableuses trop acides sont, notamment en Allemagne, amendées par la scorie THOMAS, dont la chaux apporte une neutralisation de l'acidité du sol et le phosphore dope l'assimilation du carbone et de l'azote de l'air et la croissance des végétaux. Dans une lettre à son cousin Percy GILCHRIST, Sidney THOMAS a pronostiqué que l'évolution des prix des minerais et des produits ferait un jour de la scorie le produit principal et de l'acier le co-produit. Ces jours-là arrivèrent effectivement, vers la fin de la deuxième guerre mondiale. |
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Sidney Thomas dans le monde entier |
En 1881, Sidney THOMAS part aux Etats-Unis pour y négocier ses brevets. Son association avec Andrew CARNEGIE, le "roi de l'acier" américain, lui vaut de nombreuses conférences et présentations. Il rentre en Angleterre, fait des aller-retours sur le continent européen. En 1882, il repart en Afrique du Sud. Tous ces voyages le fatiguent ; il souffre notamment du mal de mer durant les interminables traversées. D'Afrique du Sud, il passe en Inde, puis en Australie. Dans tous ces pays, THOMAS s'intéresse aux conditions de vie des populations, et notamment des ouvriers. De retour en Amérique, il traverse de San Francisco à Pittsburgh, visitant tout ce qui rougeoie. Il est de plus en plus fatigué. Ce n'est pas le seul fait des voyages et des conférences : Sidney THOMAS est malade, comme le diagnostique son compagnon de voyage, qui se trouve être ...médecin. |
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les dernières années |
De retour à Londres, il est submergé par la charge de l'administration de ses brevets et la correspondance technique afférente à ses procédés. De plus en plus faible, il rejoint la campagne anglaise, puis, enfin convaincu des bienfaits d'un climat sec, part pour l'Algérie. Après plusieurs semaines d'acclimatation à la chaleur extrême (il a mal choisi sa saison d'arrivée), hors d'état de rentrer en Angleterre, il s'ennuie tellement qu'il se fait expédier des appareils métallurgiques, employant pour des essais qu'il n'a plus la force d'accomplir lui-même un jeune Arabe "qui s'acquittait de son emploi avec la plus grande gravité". |
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Durant la phase d'accélération de sa maladie, Sidney THOMAS, à côté de la métallurgie, s'occupe toujours de questions sociales. Il a déjà oeuvré pour l'Homme à travers l'agriculture à laquelle il a donné la scorie THOMAS, mais il n'a pas oublié non plus l'expérience du tribunal londonien de sa jeunesse. Marqué par la misère de ses contemporains, par la dureté de la condition ouvrière exposée aux maladies industrielles (tannerie, fabrication des allumettes, etc), conscient des méfaits de l'alcoolisme, pétri d'idéalisme social, il milite en faveur d'un système évitant l'accumulation héréditaire de la richesse qui la confisque au plus grand nombre. Il souhaitait aussi une prévention efficace contre l'alcoolisme, un encouragement à l'émigration aux Etats-Unis (nous sommes en pleine naissance de la grande Amérique). |
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Conscient qu'aucun système législatif ne peut rendre l'homme vertueux, il préconise une amélioration des dépenses publiques en matière de logement, d'éducation, l'amélioration de la gestion par l'Etat des musées, des parcs, des hôpitaux, des écoles, financée par l'augmentation des droits de succession. Selon lui, l'amélioration des conditions d'existence et la possibilité de s'instruire permettraient une réforme morale plus féconde que n'importe quelle législation. |
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Sidney THOMAS finit par gagner Paris dans l'espoir d'un traitement efficace. Installé dans un appartement confortable, il continue d'assumer la charge d'une correspondance nourrie avec les exploitants de ses procédés. On essaie divers traitements, rien n'y fait, sa maladie progresse ; cette maladie lente, qui depuis des années l'essouffle et l'amaigrit, cette affection sans remède qui l'épuise et le détruit, elle tue sans relâche en ce dernier quart du XIXème siècle : c'est la tuberculose. Il en meurt dans son sommeil le premier février 1885, à moins de trente-six ans. |
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l'héritage de Sidney THOMAS |
A partir des brevets initiaux de 1877, des licences seront, entre 1879 et 1882, concédées à divers métallurgistes anglais et du continent. Les trente années qui suivent, de par l'exploitation maintenant possible des minerais phosphoreux (notamment ceux du gisement lorrain, les minerais phosphoreux suédois, gallois, etc), verront la production européenne d'acier multipliée par 23 entre 1880 et 1913 ; nulle en 1880, la contribution de l'acier THOMAS est de 62% en 1913. |
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L'avènement du procédé THOMAS en France, qui y déclenchera le vrai démarrage la révolution industrielle, sera l'objet d'un article à paraître sur le procédé THOMAS en lui-même ; qu'il nous suffise ici de dire que le procédé fut négocié en premier au Creusot, par Henri SCHNEIDER auquel THOMAS avait pris l'initiative de présenter son procédé dès la réussite des premières coulées. SCHNEIDER, pour lequel le procédé n'avait que peu d'intérêt en raison des spécificités de son carnet de fabrication, proposa aux WENDEL, eux-mêmes déjà en négociation avec THOMAS, de négocier le brevet. En novembre 1879, THOMAS leur céda l'usage du procédé, à exploiter dans une usine nouvelle construite à Joeuf en association entre les WENDEL et SCHNEIDER. La première coulée THOMAS à Joeuf intervint début 1883. |
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(*)cf. article à paraître sur le procédé LWS. |
Le convertisseur THOMAS s'est révélé être un procédé industriel remarquablement robuste ; il n'a subi que peu de modifications (soufflage à l'air enrichi à l'oxygène, ou d'un mélange oxygène-vapeur), ouvrant la voie à ses héritiers contemporains, les procédés LWS et apparentés (Q-BOP, etc.), à soufflage d'oxygène pur par le fond à travers des tuyères concentriques refroidies par craquage de vapeur d'eau (1968) ou d'hydrocarbures (1970)(*). |
Il est satisfaisant de constater qu'au contraire de philanthropes de la même époque (par exemple le peintre anglais J. M. William TURNER, 1775-1851), l'esprit du testament de Sidney THOMAS, bien défendu par sa famille et notamment par sa soeur Lilian, n'a pas été trahi. Lilian THOMAS a ainsi utilisé la fortune du brevet à faire construire des logements dans les quartiers industriels de Londres et à sauver des édifices d'intérêt historique ou artistique. Elle fonda un "Trust" qui maintenait un délégué au tribunal où son frère avait commencé sa carrière, chargé de conseiller et d'assister les justiciables les plus défavorisés dans leurs démarches juridiques. Elle fonda aussi Tonybee Hall, une institution vouée à la lutte contre l'alcoolisme, à l'enseignement et à la réforme sociale. |
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L'héritage de Sidney Gilchrist THOMAS, construit en moins de trente-six années de vie, est ainsi d'une fécondité remarquable : même si ses procédés ont ouvert la voie à des innovations qui les rendent aujourd'hui caducs, son oeuvre a changé la face du monde métallurgique, industriel et agricole. Il a aussi montré la voie d'un humanisme non pas théorique, mais moderne car social. |
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bibliographie |
ALLARD M., "Le procédé THOMAS dans le patrimoine français", La Revue de Métallurgie, volume XLVII, nĝ12, 1950. |
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AURIAC (D') A., "Leçons de sidérurgie", DUNOD 1922. |
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DESCH C.H., "la vie de S.G. THOMAS", La Revue de Métallurgie, volume XLVII, nĝ12, 1950. |
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GALEY J. & Alii, "Mesure et enregistrement de la température du bain au convertisseur THOMAS par visée à travers le bec", La Revue de Métallurgie, juillet 1959. |
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LECOMPTE H., "Cours d'Aciérie", Editions de la Revue de Métallurgie, v. 1961. |
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LEROY P., MAUBON A., BASTIEN J., "Soufflage d'oxygène pur par le procédé LWS", La Revue de Métallurgie, juin 1975. |
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MOINE J-M., "Les Barons du Fer", (pp.56-60 pour le procédé THOMAS en Lorraine), Serpenoise, 1989. |
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