Le site d'Uckange et ses spécificités.

Actes du Colloque 'Patrimoine Industriel du val de Fensch' du 23 mars 2002

lieux d'Acier

Bernard COLNOT

20 août 2002

 

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Le Loup et le Renard. Non, je ne vais pas vous réciter une fable de La Fontaine mais reprendre partiellement les propos d'un des mes amis sidérurgistes d'Uckange. Quelques définitions s'imposent :

" Le Loup " : garni de fonte solide restant dans un haut fourneau après les coulées.
" Le Renard " : système de siphon permettant de séparer la fonte du laitier au cours de la coulée.

Ceci étant dit, pour votre érudition industrielle personnelle, et très rapidement, quelques repères.

Depuis 50 ans environ, les usines à fonte en France (hauts-fourneaux) ont disparu peu à peu sans laisser de traces...

Permettez-moi de citer : Chasse, Givors, Hennebont, Le Boucau, Decazeville, Fumel, Rouen, Saulnes, Isbergues, Fontoy, Moyeuvre, Auboué, Pompey, Hussigny, Réhon, Senelles - Longwy, Mont-Saint-Martin, La Chiers - Longwy, Aubrives - Villerupt, Micheville - Villerupt, Jouf, Neuves-Maisons, Thionville, Homécourt, Hagondange, Fourneaux - Hayange, Knutange, Valenciennes, Denain, Louvroil, Caen - Mondeville, Rombas... Et j'en oublie probablement.

Environ 35 usines à fonte, soit de l'ordre de 80 hauts-fourneaux ont été démolies sans laisser de traces sauf des friches industrielles, aménagées ou non... Vers 1800, pour mémoire, il y avait en France environ 500 petits hauts fourneaux !

Que reste-t-il actuellement en France ? Hayange - Patural, Dunkerque, Fos (et les cas particuliers de Pont-à-Mousson et Paris - Outreau. )

Parmi les usines défuntes de la sidérurgie française, Uckange est l'usine présentant plusieurs particularités :

* Fabrication de fontes spéciales, en teneurs en carbone, silicium, manganèse, soufre et phosphore particulières, selon les desiderata de la clientèle, spécialement des fonderies de deuxième fusion.

* L'une des premières usines lorraines à recourir aux minerais hématites d'importation, seule possibilité pour satisfaire la clientèle.

* Outre sa mission principale de production de fontes spéciales de moulage et d'affinage pour les fonderies et aciéries, l'usine a souvent servi de laboratoire d'expérimentation dans la profession, notamment grâce à la proximité de l'IRSID (institut de recherches). Citons la dernière expérimentation à l'échelle industrielle, l'utilisation des torches à plasma.

* Enfin, dernière singularité : le haut-fourneau U4 est le seul fourneau encore debout après l'arrêt et la destruction de tous les autres. C'est ce haut-fourneau qui fait l'objet de toute notre attention, depuis 10 ans et particulièrement ce jour.

 

L'usine d'Uckange, un peu d'histoire :

Des membres érudits ont présenté l'usine dans diverses publications nationales, notamment dans le numéro 27 de l'Archéologie Industrielle en France diffusée par le CILAC, Comité d'Information et de Liaison pour l'Archéologie, l'étude et la mise en valeur du Patrimoine Industriel. Je veux citer les professeurs Philippe Mioche et Denis Woronoff, ici présents.

Aussi, serai-je bref dans mon intervention ; quelques étapes :
* 1890, les frères Stumm, industriels sarrois, propriétaires de l'usine de Neunkirchen et de la mine de fer de Sainte-Marie-Aux-Chênes, font construire le premier haut fourneau à UCKINGEN, en Moselle annexée.
* En 1904, Uckingen compte 6 hauts-fourneaux.
* En 1919, l'usine est placée sous séquestre puis devient propriété des Forges et Aciéries de Nord et Lorraine (F.A.N.L.).
* En 1928-1935, transformation de l'usine, modernisation, réduction à 4 hauts-fourneaux.
* En 1920-1960, exportation de la fonte principalement vers la Sarre.
* En 1940-1945, période particulière en Moselle annexée.
* En 1962, arrêt de la centrale électrique et évacuation du gaz vers la nouvelle centrale commune de la sidérurgie à Richemont.
* En 1965, " plan professionnel " de la sidérurgie et première restructuration. L'usine de Saulnes - Raty - est réunie à celle de Uckange pour créer une nouvelle société des hauts fourneaux réunis de Saulnes et Uckange (HFRSU).
Toute la production à partir de minerai est concentrée à Uckange qui reprend la fabrication de fontes de moulage de Saulnes. Abandon progressif de la minette lorraine (phosphoreuse, à teneur de 30% en fer environ) au profit des minerais d'importation (hématites, à 60% de fer environ).

Capacité de l'usine : 1 million de tonnes, effectifs allant jusqu'à 1.100 personnes.
* En 1976, réfection du haut-fourneau 4 qui sera ensuite mis en sommeil pendant une dizaine d'années.
* En 1986-1988, USINOR-SACILOR prend le contrôle des HFRSU qui devient LORFONTE.
* En 1986, modernisation du haut-fourneau 4, et campagne d'expérimentation des torches à plasma dans l'usine.
* En 1991, arrêt du haut-fourneau 1 et fermeture de l'usine d'Uckange.

 

Les spécificités de l'usine d'Uckange :

Uckange était spécialisée dans la production de fonte de moulage destinée à la fonderie et plus particulièrement de fonte hématite. Je ne vous infligerai pas la longue liste des contraintes que ces fabrications impliquent mais je ne peux pas ne pas citer l'obligation qui nous avait été faite d'utiliser les minerais d'outre-mer venus essentiellement du Brésil, de Mauritanie, d'Australie et accessoirement de Suède, Norvège, Canada, etc...

Le coke nécessaire pour la réduction et la fusion des minerais de fer était d'origine lorraine, (des HBL) ou sarroises (Fürstenhausen).

Trois hauts fourneaux, chacun spécialisé dans un type de fonte avec des changements d'allure et/ou d'enfournement les moins fréquents possibles.

Chargement des matières premières largement automatisé, tout en gardant pour le U4, le système classique de chargement par bennes à fond ouvrant.

Epuration des gaz et évacuation vers Richemont.

Coulée de la fonte en gueuses avec un tri sur le parc à fonte, par coulée individualisée.

Recherche constante de la baisse de mise au mille par les économies d'énergie :vent chaud, injections.

Automatisation et informatisation très poussées.

La situation géographique de l'usine était particulièrement favorable : un port privé sur la Moselle, un raccordement ferré sur la SNCF, voie internationale Metz-Thionville-Luxembourg, un raccordement ferré 'intérieur' sur les réseaux sidérurgiques des vallées de l'Orne et de la Fensch et directement sur les voies autoroutières A30 et A31.

Je ne m'étendrai pas d'avantage sur les spécificités de l'usine et je risquerais de vous ennuyer par des considérations techniques, technologiques, financières, par des mises au mille, des ratios de productivité, des valeurs industrielles... et beaucoup de chiffres. Bien entendu, je reste à votre disposition et répondrai à vos questions éventuelles.

Mais je voudrais attirer votre attention sur un point particulier : pourquoi avons-nous lancé cette idée de protection et de conservation d'un haut-fourneau et pourquoi avoir choisi le haut fourneau U4 et non pas le U1 ?

La conservation et la mise en valeur du patrimoine industriel.

Le 17 décembre 1991, le dernier haut fourneau d'Uckange est arrêté en présence de la presse écrite et télévisée. Dès le lendemain, le Directeur Régional des Affaires Culturelles intervient auprès de M. Paradeis, Maire d'Uckange, pour tenter de protéger le site sur le plan culturel. Le processus de conservation et de protection du patrimoine industriel est engagé. La prise en charge du dossier est effectuée par moi-même en qualité d'ingénieur retraité de l'usine et de Président de l'association intercommunale ESFOLOR. Nous recevons l'appui de plus de 500 salariés de l'usine, de nombreux Uckangeois et notamment des syndicalistes de l'usine.

Un projet culturel avec film d'Emmanuel Graff, une étude technique de Monsieur René Drelon, ancien Directeur de l'Usine, un dossier photos de Messieurs Pierre Verny et Thierry Speth, un rapport de Monsieur Claude Forrière, Directeur du Laboratoires d'Archéologie des Métaux de Jarville, une étude complète du cabinet Compact/Dumontet pour la mise au point du projet culturel et pédagogique, une étude de ZPPAUP de Monsieur Cardon, l'étude technique de Monsieur Goutal, architecte en chef des monuments historiques, l'étude d'ensemble du cabinet Reichen et Robert commandée par l'EPML, les rapports d'expertise de Messieurs Mioche et Woronoff, l'intervention de Monsieur Tornatore, l'important travail de Monsieur Louis Rémy chargé de mission durant 18 mois... telles sont les principales étapes de l'étude de la conservation du patrimoine industriel à Uckange.

Entre temps, nous avions mis sur pieds l'association MECILOR (MEmoire Culturelle et Industrielle en LORraine) pour soutenir ce projet. C'est ainsi que le haut-fourneau a été inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques avec toutes les péripéties relatées notamment dans la presse. Cette association reste vigilante et sert de relais avec ESFOLOR.

Mais pourquoi Uckange, en particulier après la tentative et le malentendu de Longwy ?

L'usine d'Uckange est représentative parce que son histoire s'est déroulée au travers des 100 dernières années et qu'elle a rencontré tous les points forts de la seconde industrialisation en France et en Europe. Ce haut-fourneau est le dernier témoignage du 20ème siècle en Lorraine.

Pourquoi le fourneau U4 et non pas le U1 ?
Parce que le U4 est à la croisée des anciennes machines (en partie construction rivetée) et des technologies d'après-guerre, dans les années 1950-1960. Le choix a été effectué par les services culturels du Patrimoine, aussi bien au niveau régional qu'au niveau national, en particulier pour l'intérêt historique de cet ensemble industriel.

Je terminerai par quelques réflexions d'ordre général :

Il n'y a pas d'avenir sans mémoire.

L'association MECILOR regroupe des femmes et des hommes de toutes catégories sociales et de toutes opinions. Ils souhaitent que le site d'UCKANGE, au-delà des grands espaces disponibles pour d'éventuelles entreprises artisanales, industrielles ou commerciales, devienne autour du maintien du haut-fourneau un lieu de vie et de mémoire unique en France.

 

Un lieu de vie :

Le site peut et doit devenir un pôle d'activités permettant à la fois l'aménagement et la conservation du site, un lieu qui combine insertion professionnelle, création culturelle et vocation pédagogique. Il sera un lieu propre à des évènements qui ne trouvent pas d'espace disponible dans le bassin. Il sera un nouveau poumon donnant à la vallée, au Val de Fensch, un atout supplémentaire afin de sortir définitivement de la spirale des échecs sociaux et industriels. Déjà, nous sommes sur la bonne voie avec tout ce qui a été fait depuis quelques années dans cette vallée.

La promotion et l'accès à la culture populaire passent aussi par la conservation du patrimoine industriel et sa mise en valeur, permettant des activités diverses, touristiques, ludiques, culturelles de divers ordres, même sportives, comme c'est le cas à Meiderich dans la Ruhr ou Völklingen en Sarre.

 

Un lieu de mémoire.

Il n'existe, en Lorraine, aucun lieu permettant de raconter l'histoire sociale, l'histoire ouvrière, l'histoire industrielle de notre région sidérurgique. Les mineurs de fer ont leur mémoire ancrée à Neufchef, les mineurs de charbon dans le bassin houiller lorrain.

Lieu où pourrait se combiner les évolutions technologiques successives et l'histoire sociale des hommes et des femmes de Lorraine, les différents flux migratoires et l'histoire de tous ces acteurs à travers leur travail, leur culture, leur lutte.

Pour les membres de MECILOR, le pire serait aujourd'hui le manque d'imagination et la frilosité.

 

Imaginer autre chose.

La vocation culturelle et sociale d'un site autour d'un haut-fourneau, lieu de visites, de rencontres et d'échanges, est peut être le dernier atout pour imaginer autre chose. Avant tout, il faut conserver le site pour le développement de notre vallée, de notre département, de notre région. Il s'agit aussi d'un projet national unique. MECILOR est ouvert à tous ceux qui ne veulent pas tout perdre en n'osant rien risquer. On ne peut pas construire un avenir sans un passé. Les acteurs sociaux et culturels de la vallée l'ont bien compris en donnant des noms évocateurs à leur structure en référence au hauts-fourneaux de la vallée : " Le Creuset " pour le Carrefour Social et Culturel d'Uckange, " le Gueulard " pour la scène des musiques actuelles initialement à Nilvange.

 

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